Anaïs Baylard-Leclerc a travaillé comme commis épicière chez LOCO durant ses études en nutrition. Nouvellement diplômée, nous l’avons rencontré en janvier 2021 afin de discuter avec elle des liens qui existent entre le gaspillage alimentaire, la crise écologique, l’insécurité alimentaire et le système alimentaire industriel et mondialisé. Une entrevue passionnante qui nous fait réaliser que le développement des systèmes alimentaires alternatifs, durables et de proximité a un fort potentiel transformateur!
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[Quelques reformulations ont été effectuées afin de faciliter la lecture]
AL: Pourquoi es-tu allée étudier en nutrition et qu’est-ce qui te passionne dans ce domaine?
ABL: C’est pendant mes études en nutrition que j’ai été mise en contact avec tout le concept des systèmes alimentaires, d’où proviennent nos aliments. J’étais déjà pas mal conscientisée par tout ce qui est la question de la crise environnementale. Pour moi, aller chez LOCO ça allait de soi, parce que je pouvais jumeler le côté environnemental, le côté de l’alimentation, de la santé.
Et c’est en m’impliquant plus chez LOCO et au travers mes études en nutrition que j’ai compris que toutes les crises qu’on rencontre dans le monde sont reliées à certaines causes, dont, comment notre système alimentaire est conçu.
Et là, ça a explosé dans ma tête: “Wow! tout est lié maintenant… et toutes les passions que j’avais, tous les sujets qui m’animaient sont tous reliés!” C’est là que j’ai commencé à davantage m’intéresser à notre système alimentaire conventionnel et aux systèmes alimentaires alternatifs qui existent. Et pour moi, LOCO fait parti de ces systèmes alimentaires alternatifs.
AL: Je suis impressionnée de voir que vous parlez de ces sujets en nutrition… de voir que vous ne regardez pas seulement l’aspect nutrition, mais que vous regardez aussi l’aspect environnemental et global de nos systèmes alimentaires.
Bien moi aussi. Quand j’y suis allée, je pensais plus au côté clinique, hôpital, CLSC, mais j’ai appris que la nutrition c’est tellement plus grand que ça. Oui, on peut jumeler à ça des causes environnementales, mais il y a aussi des causes sociales. Par exemple, tout ce qui a rapport avec l’insécurité alimentaire. Tout ça prend racine dans “comment nos sociétés sont construites”, “quels sont les programmes que les gouvernements mettent en place”, “quelles sont les valeurs qu’on adopte en tant que société”?
C’est vraiment plus large que simplement quel aliment on consomme et la santé. Ça touche à plein de sphères.
AL: Quel est l’impact de nos choix alimentaires par rapport aux systèmes alimentaires industriels?
C’est quand même une grosse question. Premièrement, c’est quoi le système alimentaire industriel? Parfois on sait c’est quoi, sans savoir que ça s’appelle un système alimentaire.
Un système alimentaire ça implique tous les acteurs qui entrent en ligne de compte. Qu’on pense à la production, la transformation, le transport, la consommation, et même jusqu’à la gestion des matières résiduelles et le compostage.
Là où il y a une faille à mon avis, c’est qu’en ce moment on connaît surtout le système alimentaire mondialisé qui est soutenu par une agriculture industrielle. C’est vraiment un système alimentaire fondé sur l’agriculture industrielle. On parle donc de grosses machines, gros tracteurs, productions de masse où tout est pas mal automatisé. Souvent ça vient avec du gaspillage.
En fait, l’arrivée de la grosse ingénierie dans les champs, dans les années 60, concorde avec le même moment où on commencé à faire du gaspillage alimentaire. On a commencé à produire plus que ce dont on avait besoin.
Je trouve ça vraiment intéressant de dire qu’on a commencé à gaspiller quand on a commencé à produire plus que ce dont on avait besoin. Parce que souvent on le voit d’une autre manière. On dit qu’on va en manquer parce qu’on en gaspille… mais c’est à partir du moment où on en a produit plus que nos besoins, qu’on s’est permis d’en gaspiller. – AL
ABL: Exactement. Dans toutes les étapes de ce système-là, on produit trop, on transforme énormément nos aliments. Il y a plusieurs causes qui expliquent le gaspillage alimentaire à la maison, mais le gaspillage qu’on voit chez nous… c’est comme la fin du processus. 🙂
Il y en a eu aussi beaucoup avant: dans les champs, dans les usines de transformation, etc. Le gaspillage vient avec cette espèce d’idée de productivité, produire davantage, plus plus, d’automatiser tout ça. Au final, on en a plus ce qu’on aurait vraiment besoin.
On peut dire que le gaspillage alimentaire prend racine dans le concept du système alimentaire conventionnel, industrialisé et mondialisé.
C’est rendu partout sur la planète. On fait des échanges avec presque tous les pays. à l’autre bout de la terre! 🙂 Et ce qui arrive avec ces systèmes alimentaires là, c’est que ça nous déconnecte un peu de la provenance de nos aliments. Ça nous donne l’impression que l’aliment qu’on trouve sur notre tablette, bien… il est là. Et ne se pose pas la question d’où il vient, qui la fait, comment il a été fait, comment il est arrivé.
AL: En ce moment, en général, d’où proviennent nos aliments dans ces systèmes-là?
Par rapport à la distance que nos aliments parcourent, on le sait, ils viennent de plus en plus loin. Si on parle de l’échelle du Québec, une des raisons à ça, c’est l’étalement urbain qui fait en sorte que nos villes s’étendent et qu’on empiète sur des terres agricoles.
Ensuite, on internationalise nos marchés, donc les aliments peuvent venir de partout dans le monde. Par contre, on dit que 1/3 des aliments consommés au Québec viendrait du Québec. Ça veut qu’il y aurait environ 60% qui viendraient de l’extérieur. Et on dit qu’en moyenne, ils vont parcourir 2600km avant d’arriver dans nos assiettes.
J’ai trouvé quelques exemples, dont la laitue et la tomate qui viendraient de la Floride, c’est environ 2400km. En hiver, on a beaucoup de nos aliments qui viennent du Mexique justement. Donc oui, environ cette distance là.
Un autre exemple, qui est une aberration pour moi, c’est nos pommes. On retrouve encore beaucoup de pommes du Chili dans nos étalages. Et là on parle de plus de 9000km parcourus.
Non seulement c’est loin, mais en plus on est des “top” producteurs de pommes, on peut en manger toute l’année. Mais malheureusement dans les supermarchés on en trouve encore beaucoup qui viennent de loin, qui ne viennent pas de nos vergers québécois.
Je ne pourrais pas dire exactement d’où tout vient, mais on sait que ça parcourt des milliers de kilomètres. Et ça, ça devient un enjeu de traçabilité en fait, parce qu’on ne sait pas qui l’a fait, qui l’a transformé, pis combien d’intermédiaires il y a eu dans la chaîne. J’imagine que si c’est 2600km plus tard, il y a eu plus qu’un intermédiaire.
AL: Selon toi, pour réduire notre impact alimentaire, quelles seraient les prochaines étapes à réaliser?
Ça, c’est la question la plus le fun, parce qu’on peut rêver d’un système idéal.
Moi, je m’enlignerais vers un système alimentaire alternatif, durable et de proximité. Tout ça, pour contrecarrer le système conventionnel industriel.
Système alternatif, durable et de proximité, ça implique qu’on rapproche beaucoup les consommateurs et les producteurs. Donc circuit court, ça signifie maximum un intermédiaire. En général, ça va être l’épicerie l’intermédiaire en l’acheteur et le producteur. De cette façon-là, on se rapproche beaucoup de ce qu’on consomme et de ce qui est produit.
Pour ça, moi j’encourage plus de petites fermes maraîchères qui diversifient leur production. Donc ça va à l’inverse des monocultures. Ça demande de diversifier ses productions, de faire des mixtes complémentaires dans ses cultures.
Ensuite, dans le meilleur des mondes, une agriculture biologique. On connaît les impacts environnementaux et aussi humains de l’agriculture biologique. Elle est, à mon avis, à promouvoir le plus possible.
Ce type de production a vraiment des avantages économiques, sociaux et environnementaux. Économiques parce que les répercussions sont sur des gens proches de nous, des producteurs du Québec. On est assuré qu’ils vont être payé un salaire décent…. ou du moins, le salaire minimum au Québec, versus le salaire minimum au Mexique. [Commentaire LOCO, nous croyons que tant au Québec, que dans les pays du Sud, les travailleurs·euses agricoles ne sont pas rémunérés à leur juste valeur. Cependant, il est vrai que le degré d’exploitation des travailleurs·euses du Sud est plus grand.]
Ce type de système alternatif, durable et de proximité permettrait de soutenir la souveraineté alimentaire. On en a parlé beaucoup dans la dernière année. De redonner l’accès aux ressources qu’on a ici aux gens qui produisent nos aliments. De se redonner une espèce de fierté, tout le patrimoine qui vient avec. De se réapproprier ce qu’on mange, d’exiger que ça vienne près de chez nous.
Pour conclure, j’ajouterais que le gaspillage alimentaire faudrait le limiter à la source. Mais il y a aussi les entreprises qui font de l’économie circulaire. Donc qui peuvent récupérer des déchets et produire une nouvelle valeur avec ça. Et on en a plusieurs à l’épicerie, comme LOOP, la Transformerie qui fait des super bonnes tartinades.